L’Épiphanie bédéique
L’Épiphanie bédéique ou le choix de la bande dessinée comme sujet de recherche aux cycles supérieurs.
Arrivée à la fin de mon baccalauréat, j’ai été prise d’un certain vertige à l’idée de quitter l’école pour toujours. Voulant repousser au maximum le moment terrible où le « marché du travail » m’appellerait, j’ai décidé de m’inscrire à la maîtrise. Ça me semblait logique. Dans le milieu des arts et des sciences humaines, le diplôme est sanctionné par une année de cours et une année de rédaction à la fin de laquelle un mémoire doit être remis. La forme du mémoire et ses modalités de rédaction varient énormément entre les programmes, les facultés et les universités.
J’ai choisi de me diriger vers la bande dessinée un peu par hasard. Je venais de découvrir des publications plus expérimentales et plus personnelles, des ouvrages loin des albums cartonnés franco-belges qu’on lit enfant.
Je me souviens avoir lu Persepolis de Marjane Satrapi (L’Association) parce que ça traînait sur la table à la BANQ1 alors que j’étudiais pour un examen de biologie au cégep. Je l’ai terminé juste avant la fermeture de la bibliothèque. J’ai dramatiquement échoué l’examen de bio, mais j’ai connu une épiphanie bédéique. J’ai ensuite lâché les sciences, et j’ai commencé un baccalauréat en littérature et en histoire de l’art à l’Université de Montréal. À l’époque, et je crois que c’est toujours le cas, le département d’histoire de l’art offrait un cours de peinture à ses étudiants, un vestige d’un feu programme de beaux-arts. C’est en brassant mes couleurs un bon matin que l’idée de faire de la bande dessinée m’est passée par la tête pour la première fois. Après tout, c’était la meilleure façon de réunir mes passions pour le texte et l’image.
« Non, les bédéistes ne sont pas tout simplement des peintres ratés »
Puis, il y a eu la grève, l’interminable grève étudiante de 2012. Les professeurs étaient difficiles à rejoindre, les dates limites approchaient rapidement pour les inscriptions aux cycles supérieurs et moi, je ne savais absolument pas ce que je voulais faire de ma vie. Devenir bédéiste me semblait un peu utopique, mais je n’avais pas vraiment d’autres projets. J’ai appliqué à plein d’endroits, j’ai lancé plein de demandes d’admission comme ça dans le vide, les yeux fermés, en espérant que ça se rende quelque part. Bizarrement, j’ai été reçue à la maîtrise en arts visuels avec mémoire à l’Université Laval. J’avais l’impression que je devais quelque chose à la BD, que je ne pouvais plus la laisser tomber. Elle m’avait choisie (autre épiphanie épique). J’ai donc choisi de travailler sur la poésie du quotidien et le réalisme magique dans le neuvième art.
Il faut avouer que la bande dessinée comme sujet de maîtrise ou de doctorat ne fait pas l’unanimité dans tous les corps professoraux. Elle est, hélas, encore sujette à de nombreux préjugés et dans certains cas, votre place sera difficile à prendre. Heureusement, le livre de Benoît Mouchart, La Bande dessinée, dans la collection Idées reçues aux éditions Le Cavalier Bleu, permet de désamorcer les argumentaires. Il devrait venir automatiquement dans un petit kit de survie pour les étudiants en bande dessinée. Non, les bédéistes ne sont pas tout simplement des peintres ratés. Oui, c’est un vrai sujet de recherche. Non ce n’est pas juste pour les enfants. Bref, l’essentiel.
Si jamais ça vous arrive, rappelez-vous que des passionnés de bande dessinée existent absolument partout. Et ne remettez pas en cause votre choix. Les modes passent, mais les passions restent.
La bande dessinée étant un sujet assez vaste, il vaut mieux choisir son programme d’études selon ses affinités premières : histoire, littérature, arts visuels, sociologie, histoire de l’art, etc. Selon le cas, l’accent sera mis sur l’image, le thème, le texte, ou encore la réception de l’œuvre; les études supérieures ont tendance à cloisonner les domaines. Vous pouvez choisir de réaliser un mémoire ou une thèse entièrement théorique ou de vous lancer dans la recherche-création si vous avez le tempérament artistique. Malgré tout, les étudiants et les chercheurs en BD se divisent le plus souvent entre les études littéraires, l’histoire de l’art et les arts visuels. Cependant, la bande dessinée est une structure complexe et la diviser selon les disciplines, c’est nécessairement engendrer des pertes au niveau de la recherche. Les diplômes multidisciplinaires peuvent être une alternative intéressante, les co-directions également, plus fréquentes au doctorat.
Au Québec, au niveau universitaire, seule l’Université du Québec en Outaouais (UQO) offre des programmes d’études abordant spécifiquement la BD. C’est l’idéal pour ceux qui veulent se spécialiser. Depuis peu, un nouveau programme de maîtrise, avec projet de création, vient de s’ouvrir en muséologie et pratique des arts, s’ajoutant ainsi à la majeure et la mineure en bande dessinée. Malheureusement, le programme n’était pas encore offert lorsque j’ai terminé mon bac et c’est bien dommage, j’y aurais appliqué. À quand le doctorat en BD, chère UQO ?
« Il existe tout un savoir sur le neuvième art et celui-ci ne peut pas être acquis uniquement sur les bancs d’école »
D’ailleurs, qu’en est-il du troisième cycle universitaire ? En français, du côté de la recherche-création spécifiquement, l’Université du Québec à Montréal (UQAM) offre le doctorat en études et pratiques des arts qui peut faire l’affaire. Sinon, l’Université Laval offre un doctorat sur mesure dans lequel il est possible d’élaborer un projet de création, mais ça reste un parcours très marginal. Quelques départements de lettres peuvent vous prendre pour un projet en écriture de scénario. Si la théorie vous intéresse davantage, vous trouverez plus facilement des programmes de doctorat en histoire de l’art ou en littérature.
Finalement, qui dit recherche, dit aussi réseaux de chercheurs. C’est bien pratique pour partager ses connaissances, mais aussi pour se faire des amis. Les gens qui évoluent dans le milieu de la bande dessinée sont toujours super sympathiques. La petitesse du milieu oblige j’imagine. N’hésitez pas à aller aux ateliers proposés par les librairies spécialisées en bande dessinée, à assister aux colloques sur le sujet, à fréquenter les associations de quartier. Il existe tout un savoir sur le neuvième art et celui-ci ne peut pas être acquis uniquement sur les bancs d’école.
Je termine ma maîtrise cette année et je songe au doctorat. Je ne sais pas encore où me diriger, mais j’ai encore le temps d’y penser. J’aimerais bien continuer à me spécialiser dans le domaine. Il faut croire que l’épiphanie bédéique fait encore effet.