Léthéonie, Julien Paré-Sorel


Cet article a originalement été écrit pour le prototype de la revue, amoureusement appelé le ‘numéro 0’ par l’équipe. Très différent du format adopté pour les prochains articles de cette même chronique, nous vous proposons néanmoins d’y jeter un coup d’œil. Notez que ces entrevues ne seront disponibles que dans la revue. 

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« Habituellement, je ne mange pas de poisson… mais pour toi, j’ai fait une exception. »

Julien Paré-Sorel aime bien jeter son lecteur dans un univers inconnu et le laisser découvrir au même rythme que le protagoniste les secrets que lui réserve l’île de Léthéonie. Tout au long du récit, il équilibre suspense et non-dit afin de maintenir le lecteur en alerte et de susciter en lui réflexions et déductions.

Loin de Julien cette idée que la bande dessinée est un passe-temps qui se termine heureusement par la publication d’un album ; l’exercice doit certes être intéressant et amusant, mais il n’en est pas moins un travail de plusieurs mois de recherches et de remise en question sur ses propres créations.Il explique que cet univers d’île tropicale, c’est un peu son carré de sable personnel dans lequel il place ses personnages pour mettre en scène des situations et des comportements de notre société, comme la violence, l’amour, l’attachement, etc. Les thèmes abordés sont volontairement crus et se succèdent rapidement. L’effet contribue à nous rapprocher du personnage principal, Le Fou qui parcourt l’île sur laquelle il a échoué, à la recherche d’un sens à sa situation d’amnésique. Comme lui, on ne comprend par trop ce qu’on nous montre au premier regard, nécessitant parfois une relecture afin de s’assurer qu’on ait bien analysé les symboles et autres signes qui nous sont montrés.

Bien que la création de l’univers en question ait débuté il y a plusieurs années, le travail effectué en prépublication n’en a pas été plus facile. Produire Léthéonie aura pris une année à son auteur, tout d’abord à temps partiel, puis à temps plein. Les quatre premiers mois furent consacrés à la scénarisation et au peaufinage de l’esthétique des personnages et des décors ; il créé donc plusieurs versions de chacun d’eux, retravaille leurs expressions faciales et la construction de leur corps. Il effectue également quelques recherches pour varier l’aspect que prendra son décor principal, la jungle. Parallèlement, il écrit le scénario en s’inspirant des changements qu’il apporte aux personnages et vice-versa puisque selon lui, l’un influence autant l’autre étant donné que chacun révèle au lecteur des éléments clés de l’histoire. Lorsqu’il est satisfait de la construction des acteurs et de leur espace de jeu, il entreprend de découper les pages, étape qu’il juge la plus importante : sans découpage approprié à chaque étape du scénario, une bonne histoire perd tout attrait.

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Ainsi il travaille en parallèle à un scénario textuel à un découpage graphique miniature de l’action en cases : chaque page est pensée afin de créer des effets de dynamisme entre les cases ainsi que de maintenir un niveau de suspense qui laisse gonfler un effet de surprise au tournant des pages. Lorsqu’il a terminé cette étape, il la recommence mais cette fois, dans un format plus grand et procède au découpage final – comparable à un brouillon – de l’histoire entière afin de tout mettre en place : les perspectives, les plans, la position des personnages et les éléments du décor, etc. Dans le même lapse de temps, il effectue également les tests d’encrages afin d’exercer sa plume et de perfectionner les différents types de traits qu’il prévoit utiliser selon la personnalité du personnage et l’effet qu’il prévoit provoquer chez le lecteur. L’auteur aura passé plus de trois mois à temps plein à réaliser toutes ces étapes.

« Certaines personnes m’écrivent pour me parler de leurs déductions par rapport à toutes les questions que propose le livre »

L’étape finale consiste à tout mettre au propre sur papier de grand format afin d’attaquer les préparatifs finaux : le crayonné final des planches, l’encrage des crayonnés et les niveaux de gris à l’ordinateur ; l’auteur y a passé ses journées pendant environ cinq mois, ce qui s’est avéré être selon-lui un exercice particulièrement intense !

En novembre 2013 lorsque le livre est sorti en librairie, Julien a été surpris du succès qu’a eut son œuvre : il était bien conscient que l’histoire n’était pas typique et que l’intrigue se tenait bien de révéler trop facilement ses revers au lecteur. Il était donc peu préparé lorsque certains fans sont venu lui parler de leur expérience avec son livre : « Certaines personnes m’écrivent pour me parler de leurs déductions par rapport à toutes les questions que propose le livre. D’autres me disent qu’elles l’ont lu 3-4 fois avant de le déposer, ou l’on gardé sur leur table de chevet pendant 1 semaine, en y revenant de temps en temps, prenant le temps de réfléchir à leur lecture. » Il se dit heureux que son livre soit de ces histoires qui vous habitent.

Maintenant, plusieurs mois après la sortie de Léthéonie, Julien cherche à écrire un autre genre d’histoire : de la bande dessinée de reportage. L’idée lui est venue alors qu’il se portait volontaire pour aller à Haïti suite au tremblement de terre de 2010. Selon lui, c’est une chance que d’avoir pu aller là-bas et d’aider, mais aussi de voir ce que seulement une telle expérience pouvait lui montrer. Il parle de s’adonner à un style de reportage bien personnel; il n’a pas envie d’analyser, juste de raconter : « En fait, si je pouvais passer le reste de ma vie à voyager et à montrer le monde aux lecteurs par mes bandes dessinées, je serais plus qu’heureux ». Il juge donc, après avoir tenu bon et produit un livre entier comme Léthéonie, qu’il est prêt à entamer un nouveau récit. Il part d’ailleurs cet été en résidence à Lyon, en France, afin de s’y consacrer entièrement et d’avancer  franchement le projet d’ici à son retour au Québec.