Hiver nucléaire : « La ville nous doit 9 ans en temps supplémentaire »


HncouvSi vous pensez que l’hiver est un vrai cauchemar avec toutes ces tempêtes de neige, ces déneigeuses qui roulent trop vite et le froid qui vous gèle les os jusqu’à la moelle… Eh bien, dites-vous qu’au moins ça ne dure pas neuf ans ! C’est pourtant ce qui arrive dans Hiver nucléaire, une histoire de Caroline « CAB » Breault, publiée en septembre 2014. Cette version post-apocalyptique de Montréal, préalablement auto-publiée en format web, a séduit le comité éditorial de la maison d’édition Front Froid pour sa collection Anticyclone.

Dans un futur rapproché, quelqu’un a eu la « bonne idée » de construire une centrale nucléaire à Pointe-aux-Trembles, avec une catastrophe nucléaire pour résultat! On découlé de cet accident plusieurs conséquences fâcheuses, dont un grave déséquilibre météorologique qui a plongé Montréal dans un hiver éternel et phosphorescent. Neuf ans plus tard, c’est dans un paysage enneigé de juin (!!!), que l’on fait la connaissance de Flavie, une adorable petite bonne femme qui gagne sa vie en livrant des colis en motoneige. Pour rendre service à sa meilleure amie, elle accepte de prendre en charge le quart de travail de cette dernière, mais rien n’arrive pour rien…

Ce changement de dernière minute met sur le chemin de Flavie le beau Marco qui a commandé des bagels pour Jenny, son insatiable petite-amie. Après que cette dernière les ait rejetés du revers de la main avec un air bête et un « c’est pas ma sorte ! », Flavie et lui repartent en expédition chez Fairmount Bagel en quête des bons petits pains. La tâche est plus ardue qu’il n’y paraît, puisqu’une forte tempête de neige est annoncée et que Marco habite une zone menacée d’être abandonnée par les services de déneigement de la ville, qui ne fournissent plus. Le duo est forcé de se mettre à l’abri pour éviter d’être assommé par des flocons de six pieds de haut. Il faut toutefois attendre la fin de la tempête pour que la jeune héroïne se montre sous un tout nouveau jour… Mais on ne vous en dit pas plus, vous le découvrirez lors de votre lecture.

MTL magnifique malgré toutHN04_IMG

Hiver nucléaire est un récit solide qui plonge, dès les premiers instants, le lecteur dans cette saison hivernale infinie que personne ne voudrait vivre. On s’attache facilement à Flavie, une jeune femme au grand cœur et courageuse. Aussi, le dessin de CAB y est très fin et précis. Il est clair qu’elle aime les détails, car elle s’amuse à cacher dans les décors des indices qui donnent un peu plus d’informations sur l’intrigue. Dans son œuvre, on reconnait avec plaisir quelques endroits iconiques de la métropole, comme le restaurant Schwartz’s, Fairmount Bagel,  le Parc du Mont-Royal, le cinéma L’Amour, etc. Le portrait qu’elle fait de la ville ensevelie sous la neige est bizarrement magnifique, alors que les radiations dans l’air donnent à son ciel des reflets semblables à ceux des aurores boréales. D’ailleurs, tout le travail de couleurs est très soigné et aide à sentir une réelle différence d’atmosphère entre les scènes extérieures, où dominent les verts et les bleus, et les scènes intérieures, où règne une réconfortante gamme de couleurs chaudes. À la fin du volume, on a même droit à un cahier de dessins regroupant quelques esquisses préparatoires accompagnées de quelques informations additionnelles sur les personnages principaux, ainsi qu’un bestiaire assez rigolo présentant la faune de ce Montréal irradié. Les animaux représentés n’ont, en outre, rien à envier aux poissons à trois yeux de Springfield !

Avant d’être mis sous presse, Hiver Nucléaire, a connu une publication numérique sur un site tenu par l’auteure. CAB a débuté ce projet en 2012, progressant graduellement à raison d’une planche par semaine. Même si elle est une habituée de l’illustration, c’est la première fois qu’elle choisit de porter les deux chapeaux de scénariste et d’illustratrice dans un grand projet comme celui-là. Et, pour notre plus grand bonheur, l’effort en valait la chandelle. Caroline Breault dit avoir été impressionnée par le travail de Bryan Lee O’Malley dans Scott Pilgrim et cela se sent tant dans le dessin, que dans cette façon de placer ici et là des références de la culture populaire, comme des paroles d’une chanson d’Éric Lapointe. Lorsque Flavie est en colère et que ses yeux deviennent verts on ne peut s’empêcher de penser à Bruce Banner et son alter-ego; surtout qu’elle mentionne après coup ne pas aimer cette sensation. Ce genre de clin d’œil qui a fait sourire les lecteurs de Scott Pilgrim fonctionne aussi bien ici. Pour dire vrai, je n’ai qu’un seul reproche à faire à Hiver nucléaire et il est en lien avec ses dialogues. Je comprends cette volonté que les personnages soient le plus naturel possible, mais trop c’est comme pas assez, et il arrive que certaines répliquent sonnent fausses tellement elles sont relâchées. Écrire le québécois, de manière constante tout au long d’une histoire, n’est définitivement pas chose facile.

N’empêche, Hiver nucléaire va laisser sa trace au passage. Caroline Breault est une bédéiste de la relève à suivre au cours des prochaines années. J’ai déjà hâte de découvrir d’autres aventures de Flavie ou celles d’héros à venir. Après tout, c’est tout un tour de force qu’elle réussit en donnant envie que l’hiver ne s’arrête jamais… ou presque !

NDLR : Es-tu certain de ça Jérôme ?

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Hiver Nucléaire de CAB, collection Anticyclone aux éditions Front Froid, 2014, couleurs, cartonné, 96 pages.

1 thought on “Hiver nucléaire : « La ville nous doit 9 ans en temps supplémentaire »”

  1. Le commentaire sur les dialogues me fait un peu rigoler, parce que quand on connaît personnellement Cab, c’est comme si c’était elle qui parlait à travers ses personnages. Elle parle de même pour vrai, tout le temps. 😀

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